La quintessence du très long plaidoyer d’un ancien gouverneur des régions du Nord et du Sud-Ouest sur la crise anglophone: F1
mai 27, 2019Depuis le début de la crise dite anglophone, divers acteurs et leaders d’opinion ont donné leurs avis susceptibles de contribuer à son dénouement. Cependant, il y en a un qui semble maîtriser ces 2 régions pour y avoir été gouverneur. A l’heure où le gouvernement a la main tendu vers les sécessionnistes, nous revisitons les 6 facettes de la crise anglophone d’après David ABOUEM A TCHOYI.
F1: Critique de l’Etat centralisé
Pourquoi cette fixation sur le fédéralisme?
Pour avoir été dépouillées des importantes compétences qu’exerçait, en toute autonomie, l’Etat du Cameroun occidental, nombre de compatriotes de cette partie du territoire ont développé un profond sentiment de nostalgie, de malaise, de frustration et d’inconfort. Ce sentiment s’est accentué au fil des années qui ont suivi l’avènement de l’Etat Unitaire.
Ce n’est point la simple nostalgie d’une époque de rêve plus ou moins révolue. C’est la comparaison entre la qualité de la gouvernance publique pratiquée depuis 1972 et celle qui fut en honneur dans l’Etat fédéré du Cameroun occidental qui conduit, systématiquement, un grand nombre d’acteurs à pourfendre la première et à regretter la deuxième, dont plusieurs souhaitent le rétablissement. Ce sentiment est réel même chez ceux qui n’ont pas connu le self-government du Cameroun occidental en tant qu’Etat fédéré.
L’autonomie, mais sur quoi?
On peut gloser à l’infini sur les conclusions de la Conférence de Foumban de juillet 1961. Il est juste de reconnaître qu’elle a accordé des pouvoirs très importants aux Etats fédérés, sur une liste de matières tout aussi importantes qu’ils étaient appelés à gérer en toute autonomie. Les Etats fédérés disposaient de compétences larges et exclusives sur des matières importantes telles que l’Intérieur, l’Administration Pénitentiaire, la Décentralisation, le Développement rural et communautaire, l’Agriculture, l’Elevage, les pêches, les Travaux Publics, les Coopératives, l’Enseignement primaire et maternel, l’Energie et l’eau, les domaines et le Cadastre, la Gestion de ressources naturelles, les finances fédérées, etc. Chaque Etat fédéré disposait de sa fonction publique qu’elle gérait souverainement. Celle du Cameroun Occidental était gérée avec l’aide de la « Public Service Commission », sorte de Conseil supérieur de la fonction publique, chargée de veiller à l’objectivité des nominations et promotions ainsi qu’au respect des principes déontologiques dans la gestion des carrières.
Les clauses commerciales établies avec la France ont été acceptées à contre-cœur
La gestion de ressources naturelles par les futurs Etats fédérés était d’une sensibilité particulière en juillet 1961. Dans des entretiens séparés, J.N. Foncha, S.T. Muna et A.N. Jua m’ont affirmé qu’elle avait fait l’objet d’âpres discussions avec la délégation de la République du Cameroun à Foumban, puis en aparté avec le président Ahidjo. Ils ne voulaient pas que d’éventuels accords précédemment signés avec la France puissent s’appliquer à l’Etat fédéré du Cameroun occidental. Selon eux, c’est également dans la perspective du partage des revenus provenant de l’exploitation de certaines ressources naturelles (mines et hydrocarbures notamment) qu’ils ont exigé et obtenu que le chiffre de la population de chaque Etat fédéré soit clairement mentionné dans le texte de la Constitution fédérale du 1er Septembre 1961.
Ingérence quasi permanente
Le Cameroun a été considéré comme une curiosité sur le plan constitutionnel, avec un régime présidentiel fort et sans contrepoids au niveau fédéral, mais un régime parlementaire classique au niveau des Etats fédérés. Au Cameroun oriental, le parlementarisme classique n’a pas pu fonctionner malgré les dispositions de la Constitution de cet Etat, à cause de l’unification des partis politiques et du fait que le président Ahidjo a continué d’exercer une influence quotidienne sur la gestion des affaires publiques dans cette partie du territoire qu’il dirigeait déjà comme président de la République avant la Réunification. On se rappelle la lettre de démission d’un ancien Premier Ministre du Cameroun Oriental, Vincent de Paul Ahanda, dans laquelle il laissait entendre que le président Ahidjo ne le laissait pas assumer ses responsabilités.
Séparation floue des pouvoirs
Mais au Cameroun Occidental, la démocratie parlementaire s’exerçait pleinement, dans le respect de la Constitution de cet Etat. Les élections étaient organisées par une commission électorale indépendante créée par une loi fédérale de novembre 1961, la toute première dans un pays ayant le français en partage. Par sa composition, le mode de désignation de ses membres et ses règles de fonctionnement, elle était réellement indépendante de l’Exécutif et du Législatif. Son Président, Justice Asonganyi me l’a confirmé au cours d’un entretien à Bamenda.
Le gouvernement devait être investi par le parlement avant qu’il n’entre en fonction et il était responsable devant celui-ci. Le parlement, composé de deux chambres –House of Assembly et House of Chiefs- était jaloux de ses prérogatives. Le président Ahidjo lui-même, malgré toute l’autorité qu’il avait, s’en est rendu compte à plusieurs reprises, notamment en 1966.
Le poids du parlement
A la suite des élections législatives organisées cette année, le Kndp disposait du plus grand nombre de députés à la House of Assembly. Mais son Président, J.N. Foncha, jusque-là Vice-Président de la République Fédérale et Premier Ministre du Cameroun Occidental, ne pouvait plus cumuler ces deux fonctions, en vertu d’une loi récemment votée. Le président Ahidjo a décidé de le remplacer par l’honorable S.T. Muna qu’il estimait plus fédéraliste que le N°2, Augustine Ngom Jua. Mais le parlement lui a envoyé un message ferme selon lequel il refuserait l’investiture à un gouvernement dirigé par un parti minoritaire. Ahidjo fut contraint de nommer à ce poste l’honorable Augustine Ngom Jua vice- président du Kndp dont les penchants autonomistes l’irritaient.
Conflits d’autorité
Des incidents n’ont d’ailleurs pas tardé. D’abord entre le Premier Ministre et l’Inspecteur Fédéral de l’Administration pour la région du Cameroun Occidental –on dirait aujourd’hui Gouverneur- qu’il considérait comme étant sur son territoire. Puis entre la Police, force fédérée placée sous l’autorité du Premier Ministre, et la Gendarmerie nationale, force fédérale, qui faillirent en venir à une confrontation armée ! Des acteurs et témoins de ces incidents sont encore vivants.
« Frustrations
Le fait que tout cela ait été supprimé sans être remplacé, sur le plan managérial, par quelque chose de meilleur ni même d’aussi bon, a généré les frustrations et les revendications dont nous vivons encore les effets aujourd’hui. Les nominations dans la haute administration et le secteur parapublic, par exemple, ne répondaient plus à une rationalité lisible, et les anglophones se sont sentis marginalisés. Alors que, jusque-là, tout se faisait sur place au Cameroun Occidental, il fallait désormais se rendre à Yaoundé pour « suivre les dossiers ». Nos compatriotes de cette partie du territoire national venaient avec la conviction que les fonctionnaires- civil servants- étaient effectivement au service des usagers. Ils étaient ahuris dès l’accueil qui leur était réservé par les agents publics qui, malgré le caractère bilingue de l’Etat, les obligeaient de baragouiner un franglais à peine intelligible, souvent au milieu des rires et des quolibets.
Que pensez-vous de cette analyse ? Peut-elle contribuer à la résolution de cette crise?
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