Traitement du corps chez les Ossananga et Djanti du Mbam et Kim au Cameroun : regarddiachronique et décryptage anthropologique ou Pratique du traitement du corps, rôle et évolution du chez Waki(Ossananga) et Djanti
novembre 24, 2024Introduction
Les relations des Ossananga(Waki) et Djanti avec la mort et les morts fondent leur spiritualité qui est portée par le principe fondamental selon lequel : « nyôrê râ múndu i tà fiti wô barena iwôtô » qui signifie « l’ancêtre autrui ne peut sarcler ton arrière-cour»… ce qui va influencer la manière dont ces peuples traitent leurs morts. Pour Waki (Ossananga) et Ndjanti on distingue trois catégories de morts :
- Gâchis : décès de la naissance avant l’adolescence,
- Brisure de lance : décès de l’adolescence avant le troisième âge,
- Chasse ancestrale : décès à partir de l’âge adulte.
Chacune de ces catégories étant susceptible de se produire naturellement ou pas, des suites maladies ou de manière violente. En dehors de cas de mort violente ou il est facile de constater le décès par l’état du corps, les autres cas peuvent conduire à l’usage de l’écorce du deuil. C’est une écorce dont la poudre est introduite dans les narines de la personne supposée décédée, si elle ne l’est pas, elle éternuera après une quinzaine de minutes, dans le cas contraire, il n’y aura aucune réaction. Ce qui permet de constater et déclarer effectivement le décès. Après constat du décès, les obsèques peuvent commencer ; elles comprennent six à sept étapes.
Etapes des obsèques :
Quel que soit le type de décès, les étapes qui constituent sa gestion comprennent :
- Wukumbî wá mbímba (Assaisonnement de la dépouille),
- Wudza wá nuguá (Annonce du deuil),
- Wutima abérá (Creusage de la tombe),
- Nuguá (Deuil),
- Wutitana (Enterrement),
- Affatēna (Ascension : petites funérailles),
- Sataka (Commémoration : grandes funérailles).
Ces étapes peuvent varier dans leur application suivant les familles où les clans, mais leur enchainement est le même peu importe la catégorie de décès.
Gâchis : Wundērana
C’est le décès d’une personne de sa naissance avant l’adolescence. Lorsqu’il se produit, la dépouille, est nettoyée, ointe d’huile de palmiste puis couchée sur un lit de feuilles d’abobôchi.
L’annonce du décès ne dépasse pas le cadre familial et si l’enfant a moins d’un an, sa dépouille ne passe pas le quart de journée, plus de six heures. Le nombre d’heures que la dépouille peut faire dépend de l’âge, généralement, cela ne va pas au-delà de 36 heures.
La tombe est creusée près d’un mur de l’habitation et tapissée de feuilles d’abobôchi qui serviront aussi à couvrir la dépouille enterrée nue et la tombe n’est pas surélevée. Une femme qui perd son premier né, assiste à l’enterrement dos tourné assise en position d’allaitement, un petit tronc de bananier entre les mains. Son compagnon et elle sont tenus de mettre un bol d’eau sous leur lit pour permettre à l’âme de l’enfant encore errante aux alentours de se désaltérer.
Lorsque le décès d’un enfant se produit pour la première fois, il n’est pas nécessaire de faire l’ukaru; lorsque ces derniers se produisent plus d’une fois, il devient nécessaire l’ukaru (investigation-jugement), les deux familles sont appelées à mutualiser leurs efforts pour trouver la solution idoine et parfois des rituels incantatoires sont faits sur la dépouille avant inhumation ou pendant.
Les causes peuvent provenir du nom attribué, d’un envoutement ou du ndiwô (relations incestueuses dans l’ignorance des liens de parenté). Dans ce cas, on peut réaliser selon les cas le rituel de ventilation du nom, désenvoutement ou de dissolution du lien de parenté.
Tout ce qui est fait dans le cadre du « gâchis » a pour but de permettre à la maman de recouvrer une vie maternelle normale et au couple de mener une vie sociale paisible en restaurant et protégeant leurs aptitudes à procréer. Dans ce cadre, les obsèques se limitent à l’affatēna ou on donne aux enfants les beignets et bouillies.
La dépouille est veillée, on lui parle, parfois même la caresse, on lui manifeste des gestes d’affection comme dans tous les autres catégories de décès.
Lorsque le décès se produit de l’adolescence à l’âge adulte avant le troisième âge, cela est considéré comme un scandale et le traitement est quelque peu différent.
Brisure de lance : Nuguá na idjôngô
De l’adolescence à l’âge adulte, la dépouille peut être conservée d’un à trois jours, après un traitement particulier. La dépouille est d’abord lavée à l’eau chaude pour réduire l’effet de la raideur de la mort, ointe d’huile d’arachide ou de palmiste pour renforcer la souplesse, puis purgée par une potion faite de jus de citron, jus de canne sauvage et méba (vernonia amigdalena) pour faire sortir le contenu de son abdoment. Après elle est embaumée par un mélange de feuilles de tabac, méba, affara bikôrô (chromolaena odorata).
Les yeux, la bouche et certaines parties sensibles seront enfin ointes de sève de bananier pour mieux les maintenir et empêcher aux mouches et divers insectes de se poser sur le corps.
Si la dépouille produit des odeurs, elle sera enfumée d’encens de pruniers ou de safoutiers.
Lorsque le décès survient de manière violente et/ou brusque, sans maladie apparente, il est considéré comme anormal et lors des obsèques on peut effectuer l’ibüiya, un rituel de détermination des causes de la mort.
Lorsque la mort survient de manière violente, le corps est simplement nettoyé et laisser hors de la maison.
Annonce du décès et creusage de la tombe
Après le constat du décès, au même moment qu’on traite le corps, l’on procède à l’annonce du décès. L’annonce commence par les oncles; maternels ou paternels qui ont le devoir de transmettre la nouvelle à leur tour. Elle se fait avec du vin de palme et des palmes à la main.
La famille va creuser la tombe, en cas de difficultés bizarres pendant l’opération, des négociations peuvent être entreprises avec le mort ou alors on lui inflige des punitions, généralement la flagellation ce qui permet de passer l’on peut passer aux obsèques.
Obsèques et enterrement
Elles se caractérisent par l’ukaru, une forme d’investigation-jugement en public pour déterminer les causes de la mort. Chaque intervenant se présente généalogiquement avant d’intervenir.
Lorsque la mort est de cause violente et/ou surprenante, on procèdera à l’investigation par le poulet divinatoire, qui déterminera si oui ou non le décès est naturel, au cas où il serait anormal, quel serait le sexe de la personne impliquée dans ce dernier. Lorsque le poulet divinatoire détermine la cause du décès, si elle est humaine, on peut enterrer la dépouille avec un régime de noix d’un palmier particulier pour vengeance. Sa noix qui tombera entrainera le décès d’une personne mêlée audit décès.
Pour les décès de causes violentes, la dépouille n’entre pas dans la maison et il est réalisé mbaka (rituel de conjuration).
Puis c’est l’enterrement. La dépouille est enroulée dans une natte ou posée sur un lit ou brancard en bambou et déposée dans la tombe.
Ascension : Affatēna
C’est l’élévation, l’ascension de l’âme du défunt. Pour Waki et Ndjanti, tout défunt est réalise de l’affatēna. Et la famille et les proches se rassemblent une fois de plus pour la commémorer. Elle est considérée se produire 04 jours après l’enterrement pour un homme, 05 jours pour une femme.
- Elle se caractérise par, le rasage des cheveux des proches du défunt, un bain de purification pour veuf/veuve et orphelin.
Ascension : Affatēna
C’est les grandes funérailles, qui se déroulent un an après le décès, c’est l’occasion de continuer à entretenir les liens avec le défunt par l’entremise de l’entretien de sa tombe et de l’organisation d’un festin commémoratif en son honneur.
Lorsque la mort ne survient pas dans l’enfance, l’adolescence ou à l’âge adulte, c’est dans la vieillesse. Dans ce cas, la personne va chasser avec les ancêtres.
Chasse ancestrale : Wubuá na nyôrê
- Parler du décès d’une personne âgée, c’est aborder la question de l’ancestralité, le fondement de la spiritualité uki et ndjanti marquée par le principe initial selon lequel : « nyôrê râ múndu i tà fiti wô barena iwôtô » c’est-à-dire « l’ancêtre autrui ne peut sarcler ton arrière-cour»;
- La dépouille va suivre toutes les étapes de traitement de corps. Si elle a pu donner ses dernières volontés, l’on est tenu de les respecter, sauf si entre temps on a négocié l’application autre de celle-ci avec elle et obtenu son accord. Donc pour une personne âgée, le décès commence à se préparer de son vivant par ses recommandations.
Rôle du traitement des corps
Le traitement du corps ici a pour finalité de permettre la célébration convenable de la personne décédée, lui rendre des honneurs traditionnels qui conviennent parce que son décès à un âge avancé est la preuve qu’elle a mené une vie de respect des interdits d’une part, d’autre part de maintenir et renforcer les liens avec elle qui est entrée désormais dans l’ancestralité et peut désormais influencer positivement les vie des siens.
Évolution du traitement des corps
Avec la modernité, le traitement de corps allie souvent les procédés traditionnels et modernes, quand il n’est pas fait seulement de procédés modernes, les procédés traditionnels purs étant considérés réservés aux personnes moins nantis. Ce qui de toutes vraisemblance a une incidence négative sur l’ancestralité de moins en moins de personnes demeurant en contact avec leurs défunts dont le corps a été traitement que l’exige la tradition.
Conclusion et suggestion
Les peuples uki et djanti reconnaissent l’ancestralité et le rôle des ancêtres dans l’acquisition des savoirs faire et être, l’épanouissement et même le développement. Plusieurs témoignages ayant souvent relevé l’intervention d’un défunt pour enseigner, former, guérir à travers les rêves ou obtenir des faveurs, facilités et autres avantages après sollicitation de leur intercession. Ce qui est facile pour les défunts dont les dépouilles n’ont pas été traitées chimiquement, l’est de moins en moins pour ceux dont les dépouilles le sont. En considérant que, par leurs interventions multiples, pour transmettre des savoirs faire et être par les rêves, les ancêtres contribuent à l’épanouissement de l’homme et au le développement ; il y a lieu de considérer aussi que, la mort, qui est le moyen par lequel cela est possible, s’avère aussi indispensable dans l’acquisition desdits savoirs et leur renouvellement. Il nous revient, pour mieux bénéficier de ses bienfaits et de l’ancestralité, de revoir la manière dont nous traitons aujourd’hui les dépouilles de nos défunts, afin de maintenir et entretenir les liens avec ces derniers. Il est question de repenser les méthodes de traitement de corps qui puissent s’inscrire dans la modernité sans nuire à leurs fondements traditionnels pour permettre une vie harmonieuse de l’homme dans son environnement. In fine, la vie et la mort se complètent.
Une réécriture de l’exposé présenté par MBATAKA Jean-Louis Aimé, le 14 novembre 2024 à l’École Normale Supérieure de Yaoundé dans le cadre du Colloque International Pluridisciplinaire de la Société camerounaise de Géographie sur le thème générique « La mort, écriture plurielle d’une géographie de la vie », travail réalisé sous la houlette et la collaboration du Dr Awa MBEYA SOMBO, Enseignante d’Histoire à l’Université de Bertoua
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