Affaire Adama Gana Gueye…. » je suis Gueye et non gay ».
mai 19, 2022Par Adama Samaké
Le footballeur sénégalais Idrissa Gana Gueye est accusé d’homophobie, parce que absent lors du match opposant le PSG à Montpellier. Cet événement a suscité plusieurs réactions dont deux qui retiennent particulièrement l’attention. Celles de la candidate malheureuse aux élections présidentielles françaises récentes Valérie Pécheresse qui réclame des sanctions à l’encontre de Monsieur Gueye et du Président sénégalais Macky Sall qui exige le respect des convictions religieuses de son compatriote.
Nous sommes stupéfait du lynchage médiatique que subit Monsieur Idrissa Gana Gueye, parce que ce n’est pas un fait nouveau. Radamel Falcao, fervent catholique, avait refusé de porter un brassard aux couleurs arc-en-ciel symbolisant la communauté LGBT, pour ses convictions religieuses. MAIS AU-DELA DU BRASSARD ET DU MAILLOT, NOUS VOYONS DANS CE DEBAT UNE GRANDE QUESTION SOCIALE CONTEMPORAINE FORMULEE PAR DEUX EMINENTS UNIVERSITAIRES AMERICAINS: FUKUYAMA ET HUNTINGTON.
Francis Fukuyama et Samuel Huntington sont deux éminents universitaires américains qui ont suscité, au début des années 1990, des controverses planétaires, à travers des essais d’analyse politique.
Le premier publie, dans la revue conservatrice ‘‘National Interest’’ en 1989, un article intitulé « The End of History ? » (La fin de l’Histoire?) dont il développe les thèses trois ans plus tard dans un livre : ‘‘The End of History and the Last Man (La fin de l’Histoire et le Dernier Homme)’’. Pour lui, l’histoire universelle conçue au sens hégeliano-marxiste comme un combat d’idéologies, c’est-à-dire comme une évolution progressive des institutions socio-économico-politiques, un processus orienté vers une fin, trouve son point d’achèvement dans la démocratie libérale et l’économie de marché. En outre, Fukuyama constate « une homogénéisation croissante de toutes les sociétés humaines » autour des droits de l’homme, de la démocratie et de l’économie libérale.
Le second (Huntington) réplique à la réflexion de son collègue par l’entremise d’un article paru en 1993 dans la revue ‘‘Foreign Affairs’’, intitulé « The Clash of Civilizations ». Il « élabore un nouveau modèle conceptuel pour décrire le fonctionnement des relations internationales après l’effondrement du bloc soviétique à la fin des années 1980 » : les oppositions culturelles, qu’il nomme ‘‘civilisationnelles’’.
C’est le lieu de rappeler que pour Huntington, le monde est divisé en huit civilisations : chinoise, hindoue, islamique, occidentale, latino-américaine, africaine, orthodoxe. Sous ce jour, les mondes bouddhiste et juif ne peuvent être considérés comme des civilisations parce que si le bouddhisme est une grande spiritualité, celle-ci s’éteint en Inde. Par conséquent, elle ne peut être le socle d’une grande civilisation. Quant au judaïsme, il serait handicapé par sa faiblesse démographique.
Samuel Huntington confirme le passage d’un monde bipolaire à un monde multipolaire. Mais il remarque que dans ce dernier, les oppositions ne sont plus politiques, économiques, idéologiques. Elles sont culturelles. Il entreprend donc une redéfinition de l’histoire qui n’est plus le lieu d’un combat idéologique, mais culturel :
« La réussite économique de l’extrême orient prend sa source dans la culture asiatique. De même, les difficultés des sociétés asiatiques à se doter de systèmes politiques, démocratiques, stables. La culture musulmane explique pour une large part l’échec de la démocratie dans la majeure partie du monde musulman. (Huntington : 2007 :22) »
On comprend dès lors la formulation du titre de l’œuvre publiée en 1996 qui lui permit d’approfondir sa théorie et de développer tous ses aspects : « The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order (Le choc des civilisations et la refondation de l’ordre mondial) ». Elle fut traduite en français sous le titre « Le choc des civilisations en 1997 ».
Huntington fait une analyse pessimiste de la situation du monde. Selon lui, le XXIe siècle verra le choc des civilisations ; car « les frontières entre cultures, religions et races sont désormais des lignes de fracture ». Deux idées nous sont essentielles dans ces différentes réflexions : premièrement, pour ces deux universitaires, le processus interculturel est irréversible.
Il en va de même pour la mondialisation culturelle, notion fortement sollicitée aujourd’hui, qui se veut une tentative d’homogénéisation des références culturelles, en vue de prévenir, voire de résorber les éventuels conflits. Fukuyama affirme à juste titre qu’ « il n’y a plus d’autre modèle de développement dont on puisse attendre de meilleurs résultats ». (Fukuyama : 1999 : 78).
Deuxièmement, ils reconnaissent la religion comme un facteur essentiel à l’élaboration de la marche de l’histoire. En se basant sur la définition hégeliano-marxiste de l’histoire, Fukuyama reconnaît implicitement la religion comme un appareil idéologique d’État. Huntington affirme que le facteur religieux occupe une place primordiale dans les oppositions civilisationnelles.
NB : Lire Adama Samaké, « Religion et création romanesque: l’exemple du roman africain de langue française » in Revue Roumaine d’Études Francophones N°4, 2012, pp. 98-118
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